L’église Notre-Dame a compté près de 12000 visiteurs cet été 2023, note La Voix du Nord. L’occasion de se pencher sur le style architectural de ce plus ancien monument de Calais conservé (avec la tour du Guet), et classé à l’inventaire des Monuments historiques
En effet, on lit souvent que le bâtiment religieux est le seul de style britannique médiéval en Europe. Ainsi, le site de l’office de tourisme de Calais évoque une église « étant probablement la seule (…) d’influence Tudor en Europe continentale« . Et de poursuivre : « Vue de l’extérieur, elle ressemble aux cathédrales de Rochester ou Gloucester et ne comporte ni contreforts, ni arcboutants contrairement à la plupart des cathédrales continentales« . Il est vrai que les Anglais occupants (1347-1558) ont achevé la construction de l’édifice, dont la conception remonte à 1214. Les Anglais l’ont notamment terminée par un chevet et réalisé le transept, les travées du choeur et le clocher.
« Style Tudor », « perpendiculaire anglais »
Plutôt que de style Tudor, développement final de l’architecture médiévale en Angleterre durant la période Tudor (1485-1603), il est toutefois préférable de convoquer le style gothique perpendiculaire. Un style marquant la troisième période de l’architecture gothique anglaise, ayant débuté vers 1350 et se caractérisant par l’accent mis sur les lignes verticales, à l’instar par exemple de la cathédrale de Gloucester. Le site de la Compagnie du Dragon rattache d’ailleurs l’église calaisienne à ce style, lui octroyant la même singularité que l’office de tourisme : il qulifie l’église Notre-Dame de Calais de « seule église du style perpendiculaire anglais sur le continent« .
Cette idée a été véhiculée, au début du XIXe siècle, par l’archéologue et historien de l’art boulonnais Camille Enlart, rappelle la professeure d’histoire calaisienne Magali Domain. (Revue Nord, 2012/1). Une idée battue en brèche par l’historien et archéologue Pierre Héliot, et plus récemment par l’universitaire lillois Jacques Thiébaud, livre Magali Domain.
Un style architectural pas français…
Pour Pierre Héliot, que le style architectural de Notre-Dame-de Calais ne soit pas français reste acquis. Mais, écrit-il en 1947, si « le transept [du bâtiment religieux calaisien] semble purement anglais (…), le reste est plus complexe« . L’auteur voit en effet une dualité d’influences – anglaise et néerlandaise, – dans plusieurs éléments originaux de l’église calaisienne, en particulier le clocher, le chœur et ses annexes. Preuve de la marque néerlandaise, l’usage de la brique dans la réalisation de ces éléments. En effet, « la brique, d’emploi constant dans les provinces continentales riveraines de la mer du Nord à compter du XIIIe siècle, ne franchit le Détroit qu’après de longues hésitations et sous l’influence des Pays-Bas« .
En 2006, dans son ouvrage Nord Gothique, Jacques Thiébaud conteste encore plus fortement l’idée que Notre-Dame de Calais soit le seul exemple d’architecture médiévale britannique sur le continent. « Selon cet historien spécialiste de l’art religieux médiéval, écrit Magali Domain, il est très difficile d’identifier avec certitude une empreinte typiquement britannique dans la conception de l’église, dont une grande partie était déjà édifiée ou en voie d’édification (…) avant la prise de Calais par Édouard III. Ainsi, la position de la tour, au centre de l’édifice [et non accolée au corps principal, ndlr], si elle est une anomalie pour l’époque, ne peut être directement attribuée à l’influence anglaise, car ce parti pris architectural était déjà passé de mode des deux côtés de la Manche« .
…Mais seuls « quelques traits anglais »
En fait, pour Jacques Thiébaud, seuls « quelques traits sont sans doute spécifiquement anglais : les piles de la croisée, une certaine allure générale de la construction, avec des parapets dissimulant partiellement des toitures assez plates, et l’aspect général de la tour« , cite Magali Domain. D’ailleurs, appuie-t-elle, « s’ils ont sans doute supervisé le chantier de construction, les Anglais n'[y] ont pas travaillé eux-mêmes mais ont employé une main d’œuvre locale, notamment flamande, mettant en oeuvre ses propres savoir-faire« . Notamment l’usage de la brique au lieu de la pierre, « méthode courante en Flandre mais jamais pratiquée outre-Manche« .
En définitive, selon les apports de la recherche, il vaudrait mieux parler de syncrétisme architectural à propos de l’église Notre-Dame de Calais, plutôt que d’y voir l’empreinte spécifiquement britannique. Dire qu’elle est le seul exemple d’architecture religieuse de style perpendiculaire (ou Tudor) en Europe s’avère donc erroné ! L’église garde toutefois un titre de gloire à l’échelle française : c’est en effet là que se sont mariés le général De Gaulle et la calaisienne Yvonne Vendroux en 1921…